Dans les cartons – 3

Ce 10 novembre 1968, la radio est allumée, comme chaque jour, sa présence emplit l’atelier.

Les voix de Radio France sont des fenêtres sonores par lesquelles le monde entre chez le peintre. Pas besoin d’images animées pour voir. Surtout pas.

Sur la table, les couleurs attendent. Le chevalet est en place, les sujets prêts à naître.

 

8h00 – Les 4 bips – Le journal parlé : Inter actualités.

Les voix sont graves, solennelles. Ce sont les heures d’avant l’hommage.

Les voix comme des monuments, gloire aux généraux.

Le journaliste s’emballe, présente le programme des festivités. Ce sera beau, « grandiose », ce qui se prépare pour demain.

Dans le poste, on entend la Musique de la Garde républicaine saluant le drapeau, comme un avant-goût proposé aux auditeurs attentifs.

 

Sans les images pourtant, l’effroi du peintre est là, qui enfle au son de la musique, glacé, sourd.

Une feuille, un pinceau, de l’encre noire.

Les couleurs attendront.

 

Les sons s’éloignent.

Le pinceau ne tremble pas, guidé par les images qui emplissent l’atelier.

Poids du champ de guerre – présence du silence.

 

Pas de célébration au bout du pinceau. Pas d’hommes médaillés. Pas de glorification du soldat, ni de la patrie victorieuse.

Quelques traits noirs seulement, posés sur la feuille blanche, et des crânes, des tas de crânes qui s’entrechoquent, qui s’empilent, sont rassemblés dans une même terreur. Ils nous font face, ces crânes, nous « regardent » de leurs yeux vides quand le coq ou l’aigle, les serres bien piquées sur les têtes des soldats morts, tournent leurs pupilles avides et glacées vers des combats futurs, vers d’autres hommes à dévorer.

Pas d’espoir dans ces dessins.

Pas de soleil.

Pas de pluie.

Pas d’air.

Rien.

 

Rien à glorifier en ce 10 novembre 1968.

14-18 – encre de Chine – 10/11/68

14-18 – encre de Chine de Raymond Debiève – 10/11/68

14-18 – encre de Chine – 10/11/68

14-18 – encre de Chine – 10/11/68